« ACTIVITE ANE »
DANS LE CADRE DE PRISES EN CHARGE EN PSYCHOMOTRICITE
par Manée Séverin

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« Psychomotricienne en centre d’aide par le travail, je propose depuis environ quatre ans, une activité avec des ânes auprès de personnes adultes en situation de handicap mental.
Dans mon travail je suis amenée à utiliser des supports de mobilisation corporelle comme certaines techniques de relaxation ou d’expression au travers desquelles j’aime à m’investir. Je ne suis pourtant pas une inconditionnelle de l’âne mais depuis mes premiers pas et premières expériences avec cet animal singulier, j’ai pu toucher de près la passion de certaines personnes.

Ce que je ne peux nier, c’est d’avoir été attirée par certaines particularités de l’âne. Sa relative facilité de contact, son rythme calme et plutôt stable, son aspect parfois «peluche» qui incite à aller à sa rencontre et le toucher, ou encore son braiment perçu comme une plainte ou qui prête à sourire mais ne laisse pas indifférent.
Ces qualités naturelles sur le plan physique (formes, volume, lenteur de déplacement...) ont rarement un caractère impressionnant mais plutôt attirant. Son comportement (placidité, endurance, curiosité, conduites négociatrices ...) pour peu qu’il soit mis en valeur au cours de son éducation et dans certaines conditions de vie (principalement vie en troupeau) offre la possibilité d’espaces porteurs de lien, de positionnement, de désir à entreprendre.. Egalement, au niveau du sens et de l’imaginaire, tout ce que l’âne peut véhiculer apporte des éléments intéressants.

Dépassant ces premières sensations créatrices de lien, j’ai constaté lors d’activités certains enjeux de positionnements et d’attitudes qui m’ont amenée à concevoir des séances de psychomotricité proposant l’âne comme support de médiation à la mobilisation corporelle.
C’est en collaboration avec Nadège Champeau, éducatrice et ânière, que je me suis lancée dans cette aventure encore novatrice même si certains pionniers comme Irène Van De Ponseele y ont déjà ancré une certaine expérience.
Comme avec le cheval utilisé depuis longtemps en soins thérapeutiques, l’âne présente un mode d’approche dans lequel la communication infra-verbale (signes gestuels et posturaux, mouvements, déplacements, actions…) prédomine. Ceci permet donc une proposition d’espaces de rencontre, d’agi et de mise en jeu du corps dans lesquels le jugement normatif peut être mis entre parenthèse.
Au-delà de cette possibilité de travail autour de la communication infra-verbale, certaines particularités de l’âne en font un partenaire intéressant au niveau d’une approche où l’inter relation-action entre l’accompagnant, le patient et l’animal peut se placer et évoluer à un rythme progressif appréciable pour une dynamique de soin et d’aide.
J’utilise dans ma pratique professionnelle tout ce « matériel » mis en évidence dans des propositions de mises en jeu du corps où sensation, motricité, mobilité, tonicité, appréhension de l’espace vont venir enrichir la personne pour elle-même, l’ouvrir à une meilleure expression d’elle-même, à un positionnement de sujet-acteur dans lequel le dépassement et la valorisation de soi peuvent être porteur de changements au quotidien.

C’est le cas par exemple d’Agnès dont la difficulté massive à pouvoir regarder et être regardée, l’a contrainte à l’immobilisme sur le plan physique et relationnel. Nous avons utilisé son lien à une jeune ânesse et l’espace de soin à l’animal pour médiatiser sa problématique autour du regard, lui permettant de vivre ce contact sensoriel de manière non intrusive. Elle a pu ainsi sortir de son inhibition et s’ouvrir sur le plan relationnel dans le quotidien institutionnel.
Raymond est un jeune homme dont l’immaturité et le manque de repères l’induisent à appréhender son environnement humain et matériel dans la provocation et l’instabilité. Le lien établi auprès d’une ânesse et son ânon lui a servi à déposer une problématique affective. Il a pu ainsi exprimer ses compétences et son bien-être au cours des séances. Investissant progressivement l’espace de parcours de maniabilité il s’est révélé capable d’agir de manière organisée et contrôlée dans la conduite de l’animal. Valorisant cette stabilité de comportement, nous avons mis en évidence sur le plan institutionnel son besoin d’espace contenant pour pouvoir fonctionner et laisser émerger ses potentialités.
Sylvie est une femme dont la conduite hypotonique semble liée à un besoin de fonctionner dans la dépendance, tant la distance à l’autre est vécue difficilement l’induisant à des comportements agressifs, l’empêchant d’agir sereinement pour elle-même. Dans notre travail auprès d’elle, nous avons pris soin de respecter son besoin d’être portée au travers d’une expérience en charrette (ce que nous appelons portage différé). Cette possible reconnaissance lui a permis de se mobiliser dans la préparation de l’attelage afin de pouvoir vivre ce plaisir de la balde en charrette. Cette énergie de mobilisation pour elle-même l’a engagée par la suite à s’inscrire sur une randonnée « ânes » sur 2 jours. Elle a pu ainsi, non seulement vivre sans crainte la distance avec son milieu familial, mais se dépasser physiquement et faire émerger une possible collaboration avec autrui (et non plus adhésion) dans la conduite d’un âne.

Ces possibilités à pouvoir être, s’exprimer et agir de manière plus harmonieuse, lorsque la personne s’investie dans l’activité proposée, ne peuvent s’engager véritablement que si il y a une étroite collaboration entre les propositions de l’ânier et les demandes de l’équipe d’accompagnateurs.
Pour ce qui touche mon domaine d’intervention, je me sers du « matériel âne » entre guillemet pour définir et construire mon intervention auprès des personnes pour lesquelles le milieu institutionnel m’a missionnée.
Il est important de souligner que le caractère thérapeutique, éducatif ou pédagogique ne peut être défini uniquement autour de l’âne et des activités dont il peut être porteur. Une confrontation du projet d’accueil de l’ânier et du projet de l’équipe éducative ou soignante est nécessaire pour garantir une organisation cohérente autour des personnes à qui on propose des activités de médiation avec des ânes. »

Le 29 novembre 2004.